Coucou Manu, ça va ? Tu sais que je suis toi ?
2024 VS 2027. C’est chouette !
Je vais pas te fâcher et pas te parler politique.
Je vais pas me fâcher et pas te parler écologique.
Tu te souviens de cette chanson ?
« J’aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer
J’aime les gens qui disent et qui se contredisent et sans se dénoncer
J’aime les gens qui tremblent, que parfois ils ne semblent capables de juger
J’aime les gens qui passent moitié dans leurs godasses et moitié à côté
J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons
J’aime ceux qui paniquent, ceux qui sont pas logiques, enfin, pas « comme il faut »
Ceux qui, avec leurs chaînes pour pas que ça nous gêne font un bruit de grelot
Ceux qui n’auront pas honte de n’être au bout du compte que des ratés du cœur
Pour n’avoir pas su dire « délivrez-nous du pire et gardez le meilleur » »
—
Tu sais c’était un peu ton leitmotiv
faire aussi un peu semblant d’avancer.
Des raisons juste pour te balancer.
Jamais vraiment trouver de la motiv.
—
Au fait, il n’y a plus que Thaïs à la maison.
Louna enchaîne les études socio et littéraires.
Avec Sophie, on est toujours au diapason.
Et Madeline a toujours le théâtre pour se distraire.
Bon, euh pour pas t’inquiéter, je suis, tu es, nous sommes euh oui !
Toujours aussi raide dingue de Sophie.
—
Ça va enfin bien aussi financièrement et on est dans la maison depuis trois ans.
Un chantier de vie, toujours dans les travaux mais toujours en prenant mon temps.
Et puis je dois te dire que maintenant, du temps, j’en ai pas tant.
Attends ! Attends ! Ça y est !
Notre mariage a enfin eu lieu…
Je t’envoie les photos, hop c’est fait.
Tu vas halluciner mon vieux !
Ah bah nan merde ! Ah ah je suis con !
Elles n’existent pas encore pour toi, mon lapin.
Tu vois, on est toujours aussi malin…
Bah, imagine… c’est ce que tu sais faire de mieux, non ?
Je n’ai pas besoin de te dire qu’on l’a fait… Ça y est. Tu es institué.
Bon, je suis toujours en colère contre les élites mais je ne suis plus tout seul dans le bateau.
Bon, toujours surpris de l’attitude des techniciens de la culture mais j’ai mes actes avec moi. Les copains du village suivent, c’est chouette. Je bosse pas mal mais j’ai troqué le doute contre l’activisme relatif.
Bon, on était déjà un peu répertorié mais là on a un peu plus de poids.
Je garde toujours, toujours à l’esprit, ma liberté, mon honnêteté.
Je reste léger tout de même parce qu’il me font vraiment rire.
Mais au moins le conte continue de compter en Mayenne.
Allez, je te le dis : je suis fier.
Et mine de rien de t’écrire cette lettre du futur, je prends un peu de recul.
Bon, j’ai toujours pas de chargé de diffusion mais je travaille la communication alors ça va. Je prends vraiment plaisir sur scène, je me sens… légitime.
Maman est toujours là et on a enfin pris avec Gaëtane la curatelle de papa.
Bon, écoute je vais dans tout les sens, j’ai trop de trucs à te dire !
Euh, alors attends que je me souvienne…
Je joue plus que je ne fais de médiations, ça c’était important à l’époque.
J’écris aussi plus maintenant. J’ai un peu plus confiance. C’est chouette.
Tiens, écoute :
« Tu auras un jardin joli, fleuri et efficace. Toujours ces chemins de copeaux et sciures arrangées, orangées et entremêlées. Avec le vert des légumes, au bord des allées : des soucis, des gueules de loup, de la bourrache et ta fleur préférée, les myosotis qui envahissent… Ma terre, notre terre sera enfin riche et légère.
Manu, tu seras à l’équilibre, serein entre tes rêves accomplis, ceux encore à réaliser et tes réalités. Tu marcheras régulièrement dans les montagnes. Souvent, tu te verras sourire et toujours être étonné des petites scènes de la vie. Nager et écrire évidemment tu feras.
Faut te dire aussi, c’est important que j’aime toujours raconter. J’aime aussi pour réfléchir, tourner ton alliance autour de mon doigt. Je suis assez souvent fier de toi, fier de moi. J’aime prendre le soleil et chasser le champignon surtout en cette saison. J’aime faire un week-end et l’hiver un aller retour pour voir l’océan.
Peut-être que le Manu 2037, il fera de la confiture. Il prendra toujours autant plaisir à jouer en famille, surtout que dans dix ans toutes les filles seront parties de la maison. Il admira comment nos filles ont grandit. Ah oui, il reprendra le temps d’aller à la canne à pêche. Je crois qu’il éditera des histoires pour ses futurs petits enfants où les autres. Il n’y aura plus du tout de soucis d’argent. Il acceptera enfin peut-être d’être bien dans son corps. »
Pour finir ce courrier, je vais t’écrire mes 2027 vérités. Tu le prends comme tu veux, hein : Un conseil de roublard, une tape sur l’épaule, un mantra d’occidental…
Un bilan, une conclusion, un adieu où un bientôt. De toute façon, on est amené à se revoir où se croiser, non ? …
Bah nan, on ne se rencontrera jamais. puisque je suis moi et toi tu étais moi. Bref.
Il n’y a pas que dans la vie que tout peut s’écrire.
Une vérité.
Ce matin, rosée sur l’herbe. Petit vent froid. Plaisir retrouvé de brûler son bois. Sentir la chaleur se diffuser.
Une vérité.
Il y a des petits moments du quotidien, importants parce que l’on n’y prends pas garde.
Plus tard être étonné par ces moments oubliés, remplis de joies et d’éternités insoupçonnées.
Une vérité.
Savourer l’odeur du passé, déguster la frugalité du présent, ressentir l’incroyable avenir.
Une vérité.
Comprendre tard ce que peut-être une vie. Ce serait comme être perdu dans les couloirs d’un labyrinthe. Ce serait comme toucher du doigt les murs sans jamais quitter leur surface, parfois lisse ou rugueuse, et trouver une sortie inattendue mais toujours désirée.
Comme nos vies ont plusieurs chemins, elles ont donc plusieurs sorties. Les chemins de nos labyrinthes s’entrecroisent, se chevauchent sûrement et toujours se rejoignent dans une impasse. Couic. C’est fini.
Une vérité.